… Certes, l’entreprise est a priori un monde rationnel. Pourtant, l’intuition y joue un rôle clé, que ce soit pour innover ou saisir les situations les plus complexes. À condition d’oser l’écouter, mais aussi de la vérifier. Décryptage.
“Si l’on n’utilise pas son intuition au travail, qu’apporte-t-on de plus qu’un ordinateur ? demande Anne Tricault-Carpe, formatrice en personnalité et relations humaines. Il est indispensable d’adjoindre à l’intelligence rationnelle, cérébrale, une part d’inspiration et de créativité. Or l’inspiration repose sur des intuitions.”
Le problème avec l’intuition, c’est qu’elle est par définition irrationnelle. C’est une pensée qui arrive, d’on ne sait où, et dont on est bien incapable d’expliquer le cheminement logique. “J’entends souvent mes clients me dire : ‘j’aurais dû écouter mon intuition’, remarque Jean Pagès, coach de dirigeants et fondateur de l’Institut français d’Appreciative Inquiry (1), quand la non-prise en compte de leur intuition les a mis en difficulté.” Mais comment oser utiliser en entreprise une conviction intérieure qu’on ne peut pas démontrer ?
Une notion d’actualité
On peut tout d’abord la considérer comme un point de départ, une hypothèse de travail. Les plus grandes découvertes scientifiques n’ont-elles pas été le fait d’intuitions que les chercheurs se sont ensuite appliqué à démontrer ? “L’intuition est tout simplement un point de départ qui amène à la réflexion. À vous de réfléchir : quel chemin suivre, dans quel domaine avancer pour vérifier que cette intuition peut se concrétiser ?” questionne Anne Tricault-Carpe. En marketing, les études de marché servent justement à valider les intuitions des chefs de produit.
“Derrière l’intuition, il y a un processus psychique accéléré qui apporte des réponses à des questions sans qu’on puisse décrypter la manière dont cette réponse s’est construite, explique Jean Pagès. Celle-ci est donc particulièrement adaptée à la réalité professionnelle d’aujourd’hui, complexe, multifactorielle et accélérée, et qui oblige à un traitement accéléré des informations provenant de plusieurs sources.”
Des impressions à valider
C’est souvent dans une relation que l’intuition se manifeste : “Lui, je le sens bien. Celui-là, je ne le sens pas du tout.” “Dans un processus de recrutement, l’intuition permet d’aller au-delà des critères objectifs contenus dans le CV du candidat”, analyse Jean Pagès. Elle permet par exemple de recueillir des éléments sur la personnalité, la capacité à s’intégrer ou non à la culture interne de l’entreprise ou de l’équipe. Là encore, l’intuition est un point de départ, une alerte. “À vous de vous interroger : qu’est-ce qui me fait dire cela ?”, conseille Anne Tricault-Carpe. Et de confronter votre intuition avec d’autres collègues, ou de revoir le candidat pour creuser certains points avec lui.
Mais pour utiliser son intuition, encore faut-il lui laisser l’espace pour s’exprimer. Il s’agit de prêter attention à cette petite voix intérieure qui a des choses à nous dire. En osant l’écouter, sans pratiquer l’autocensure dès que vous sentez naître en vous quelque chose qui sort du cadre, même si cette sensation intérieure vous désarçonne car elle n’est pas rationnelle. “Il y a des intuitions qui s’imposent à nous, comme un impératif. D’autres plus fines, ténues, mais qui reviennent de manière lancinante jusqu’à ce qu’on y prête attention”, illustre Anne Tricault-Carpe.
S’affranchir des contraintes
“Nommez vos intuitions, au besoin écrivez-les, suggère la formatrice. Mieux : allez en discuter à quelqu’un d’ouvert et de bienveillant. En parler vous permettra de préciser les contours de votre intuition, mais aussi d’oser l’exposer à un regard extérieur.” Vous pouvez aussi vous exercer à petite échelle, en écoutant et faisant confiance à vos intuitions dans des situations sans grand enjeu. Par exemple ; comment choisissez-vous un plat au restaurant ? Comment décidez-vous d’occuper votre temps libre ? De manière générale toutes les formations centrées sur l’intelligence émotionnelle et la confiance en soi sont des terreaux propices au développement de l’intuition.
Car il est difficile de ressentir des intuitions si l’on ne se fait pas un minimum confiance. Si l’on croit que seuls les haut-placés dans la hiérarchie peuvent avoir les bonnes idées ; si l’on refuse de sortir de la pure logique d’une situation ; ou si l’on s’enferme dans un univers de contraintes et qu’on reste collé aux détails. “L’un des facteurs qui peuvent favoriser l’émergence d’intuitions est de regarder le potentiel d’une situation plutôt que les contraintes qui l’encadrent. L’analyse des contraintes enferme, estime Jean Pagès. Je remarque aussi que les personnes intuitives ont tendance à simplifier les choses. Elles ne s’engluent pas dans les détails, mais vont à l’essentiel.”
(1) Méthode de conduite de changement, reposant sur une exploration participative et positive des forces et du potentiel de l’entreprise, importée des États-Unis.
Un article de Marie-Pierre Nogues-Ledru pour L’Express pourseformer.fr